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La notion de ciblage didactique en EPS

Aujourd’hui, il est possible d’expliquer les mécanismes psychophysiologiques qui régulent les apprentissages à la source des transformations motrices (Damasio, 2017). Si ces apports enrichissent la vision fonctionnelle de l’apprenant, il nous semble complémentaire de réfléchir à l’influence des enseignements sur les perceptions du monde. Cette contribution consiste à questionner les effets de la logique interne des pratiques et du ciblage didactique sur les perceptions et les représentations du corps des élèves. Il est souligné dans les programmes que l’Éducation Physique et Sportive (EPS) contribue au développement de la personne. Pourtant, rares sont les travaux qui étayent ces déclarations.

L’enseignement de l’EPS fait apparaître une progression constante des différents apprentissages aussi bien moteurs que méthodologiques et sociaux. Les élèves éprouvent selon les situations un rapport aux autres, à l’espace, aux objets et au temps différent ; tout autant diversifiés que complémentaires. Les activités que nous programmons dictent-elles leurs influences sur la façon dont les élèves se perçoivent et perçoivent le monde D’APPRENTISSAGE  ?  Est-il possible de mettre en lumière l’influence du ciblage didactique sur les perceptions des élèves et les représentations du corps associées ?

La notion de ciblage : un outil de sélection des apprentissages 

Le ciblage didactique (Ubaldi, Coston, Coltice & Philippon, 2006) prend en considération à la fois la compétence attendue dans les programmes, les caractéristiques des élèves de la classe et la logique interne. Il consiste en un choix très précis et concret de ce qui va être abordé lors des leçons en EPS. En gymnastique par exemple, il est possible de ne se focaliser que sur quelques éléments gymniques. En effet, sans ciblage didactique,  nous ne ferions que survoler chaque élément si nous devions travailler sur l’ensemble des éléments possibles. D’après les auteurs (2006, p. 16), le ciblage revient à faire un choix sur ce que l’on veut enseigner et mettre ainsi l’accent sur ce qui est fondamental… sans pour autant occulter le reste. C’est une autre porte d’entrée sur les apprentissages. « Cibler, c’est choisir, ce n’est pas réduire mais « zoomer » sur ce qui est fondamental à un moment donné. C’est décider de ce qui est décisif au cœur de la culture des APSA ». Le ciblage didactique se formalise par des contenus d’enseignements spécifiques et répétés ainsi que par des buts du jeu et des critères de réussite proposés par l’enseignant. Ces contenus se traduisent par des verbes d’actions et par des critères de réalisation. Ils consistent à donner les moyens à l’élève de pouvoir atteindre les objectifs fixés. Par exemple, en gymnastique, pour être aligné, le critère de réussite sera « d’avoir de plus en plus de points du corps alignés à la verticale » au fur et à mesure des essais lors de l’Appui Tendu Renversé (ATR). Les critères de réalisations (conseils), quant à eux, peuvent se traduire par les verbalisations suivantes : « Place tes mains au sol avec un écartement à la largeur de tes épaules » ; « Tends tes bras » ; « Rentre le ventre » ; « Rentre la tête », etc.

L’enseignant d’EPS : un guide de perceptions ?

Cibler c’est se fixer des objectifs et donner des moyens aux élèves afin de les atteindre. Pour ce faire, il nous semble judicieux de participer au guidage de leurs perceptions et donc de leurs représentations du corps. Dans cette optique, maîtriser la logique interne des pratiques et opérer les bons ciblages peut permettre à l’enseignant de mieux accompagner les élèves vers les acquisitions attendues. Ces dernières et les représentations du corps qui en découlent permettent aux élèves de faire évoluer leur rapport à autrui, leur perception de soi et in fine, au croisement de ces deux éléments, leur identité.

L’enseignant d’EPS doit bien sûr faire le choix d’une programmation d’activités et choisir ses contenus d’enseignements, mais il doit surtout être un guide de perceptions pour ses élèves. Pour cela, il importe d’abord de connaître la nature du contexte dans lequel il souhaite faire évoluer ses élèves. Ensuite, il doit avoir une idée précise du résultat à atteindre en fin de séquence ; ce que nous appellerons résultat du ciblage. Puis, il lui faut des procédures permettant de faire évoluer ses élèves dans ce contexte précis enseigné : ceci correspond selon nous au guidage perceptif. Afin de permettre aux élèves de faire évoluer leurs représentations du corps de façon de plus en plus appropriée à la pratique, il importe de les guider. L’enseignant d’EPS pourra à cet égard optimiser l’accès à une sécurité interne et une estime de soi des élèves. Mais ce guidage doit d’une manière plus globale s’inscrire dans un processus durable en contribuant à la construction des identités si importantes à cet âge d’entrée dans l’adolescence

En effet, dans la continuité de notre exemple en gymnastique, ce qui est fondamental est la focalisation d’attention des élèves sur les perceptions proprioceptives. Il importe donc d’orienter le ciblage sur l’ensemble des autocentrations que pourront favoriser les buts du jeu, les critères de réussites et les critères de réalisations. Une fois la nature de l’activité déterminée par l’enseignant, il lui sera d’autant plus facile de procéder aux choix d’objectifs de son enseignement, et donc de cibler.

 Définition de trois cibles didactiques

Nous avons traduit ces trois cibles dans des formulations simples destinées aux élèves afin de favoriser leur clarté cognitive : 1) « Ce que je cherche » ; 2) « Ce que je sélectionne » ; 3) « Ce que je déduis ». En d’autres termes, Les enseignants DOIVENT FAIRE apprendre à leurs élèves à définir explicitement et à maintenir en mémoire un but conscient (1), à réguler leur activité de lecture et à prélever les informations pertinentes en fonction de ce but (2) et à produire une explication cohérente (3) pour exposer ce qu’ils ont compris.

A quoi sert de cibler un objet d’enseignement en EPS?

Le ciblage s’est construit progressivement devant le constat incontournable, toujours le même: si on confronte les élèves à la totalité de la pratique, ils n’apprennent rien! Ils ne progressent pas, c’est la problématique de l’éternel débutant. Le parti pris n°2 énoncé par Jean-Luc et Alain: l’accès à la culture ce n’est pas vivre toute la complexité et toute la diversité des pratiques. A un moment donné, la bascule a été de se dire: arrêtons de vouloir tout faire! Faisons une chose mais bien…et toujours la même.

Pourquoi? Pour que les élèves apprennent et qu’à l’échéance d’une séquence d’une dizaine ou quinzaine d’heures, il puisse y avoir des transformations qualitatives. Certes, ciblées, locales sur un seul point mais qu’il y ait des transformations! Donc il y a vraiment un souci de faire apprendre.

Comment cibler un objet d’enseignement? Quelles sont les différentes étapes?

La première étape qui est importante est de modéliser l’activité du pratiquant c’est-à-dire d’avoir une représentation des différentes préoccupations (si on utilisait un terme plus proche de l’action située) que peut avoir le pratiquant lorsqu’il évolue. Par exemple, quand on est confronté à une course d’orientation, il y a toujours une dimension lecture du milieu, avoir une petite idée de la trajectoire que l’on va suivre.

Après effectivement il y a une dimension qui est davantage motrice au sens de répertoire gestuel: créer des appuis pour se déplacer. Et il y avait une troisième dimension émotionnelle. C’est un modèle que j’avais proposé dans les années 90 avec 3 dimensions: une dimension liée à la signification de l’action, une dimension liée à la réalisation d’actions et une dimension liée à l’émotion dans l’action. Il y a un modèle de Bouthier qui est assez voisin.

. En VOLLEY BALL, c’est lire l’adversité, avoir une idée du projet du gain du point à partir du service. La 2ème dimension est la réalisation de l’action. Et puis la 3ème dimension émotionnelle: gérer son effort, rester lucide tout en pouvant se perdre, se retrouver.

Une fois qu’on a cette vision du tout, ensuite on peut dire je vais cibler quelque chose qui me paraît intéressant à travailler au niveau où en sont les élèves

Pour réduire, il faut réfléchir aux contraintes emblématiques qu’on va mettre en place. Si on prend l’exemple du tennis de table, si on veut que les élèves jouent en coup droit, on va interdire le revers. Donc on leur met une contrainte emblématique. On voit qu’on ne peut pas parler de ciblage si on ne parle pas de contrainte emblématique. Si on laisse toute la complexité du jeu, on aura beau se dire j’ai ciblé ça, de toute façon, si le jeu se déroule avec toute sa complexité, votre ciblage va disparaître! Donc contraintes emblématiques et ciblage sont indissociables. On ne peut pas dire je vais cibler ça et après faire un match normal en volley par exemple. C’est pas possible, on ne peut pas faire ça!

Est-ce que tu peux préciser, définir la notion de ciblage en EPS telle que l’entend le CEDREPS?

Il y a peut-être un préalable à donner au départ c’est-à-dire que cette notion de ciblage s’inscrit dans un cadre plus général. On va cibler quelque chose, un élément qu’on veut enseigner, on va l’appeler un savoir mais derrière il y a l’entrée que nous avons choisi dans l’éducation physique.

Cette entrée est de considérer que si nous voulons éduquer physiquement des élèves, il faut s’appuyer sur les éléments de la culture des pratiques corporelles pour faire large. Et que cette culture, c’est ce qui permet aux élèves de grandir, de devenir des citoyens et des hommes libres. J’aime bien l’idée de Darwin: se hisser sur l’épaule des géants. Donc si on prend appui sur certains éléments de la culture, on va pouvoir grandir.

Et le terme clé avec culture, c’est l’émancipation. L’émancipation, pour nous en éducation physique, ça veut dire s’émanciper des déterminismes physiques, de la motricité du terrien. Mais pas que ça. Egalement tout ce qu’on a souligné avec Thierry Tribalat autour des normes qui pèsent sur le corps, de tous ces différents types de déterminismes qui pèsent sur la manière d’être, de se comporter. 

Donc la culture et l’émancipation seraient en toile de fond. Alors si on veut amener des élèves à cette émancipation grâce à la culture, on va faire des choix dans la culture. Et ça on pourrait dire que c’est le premier niveau de ciblage.

Pour Jean-Luc Ubaldi, « Cibler, c’est choisir, ce n’est pas réduire mais zoomer sur ce qui est fondamental à un moment donné ». J’ai essayé de trouver une image pour faire penser à la démarche de ciblage. J’ai imaginé une cible comme on utilise au tir à l’arc.

Cette question là, on l’a déjà posé depuis longtemps avec la question de la transposition didactique par exemple de manière générale qui pose la question du choix.  Qu’est ce qu’on retient des objets culturels pour l’école? Donc là, on pourrait dire qu’il y a un premier ciblage. Une transposition didactique est déjà une première forme de ciblage.

Mais ce n’est pas celle que l’on entend. Si on reprend la phrase de Jean-Luc sur le ciblage, qu’est ce qui est important dans la culture? On a essayé d’avancer là dessus. Chaque pratique corporelle (c’est ça qui est intéressant) a essayé de se développer selon, en reprenant une formule d’Isabelle Quéval, des axes de perfectibilité. Il y a des axes de perfection qui peuvent être dans tous les sens: on peut se perfectionner dans le monde de l’art, dans le monde du sport, dans le monde de la condition physique, dans le monde de l’acrobatie et ce n’est pas toujours quelque chose qui va uniquement vers plus de performance.

Et dans cette évolution, on peut dire qu’il y a des moments saillants, des moments où il y a des nouvelles techniques qui apparaissent. Ces techniques sont des savoirs qui permettent effectivement de faire des pas en avant dans la culture des pratiquants. Cela suppose qu’on ne soit pas novice du domaine de culture dans lequel on veut essayer de sélectionner des savoirs. Cela suppose une certaine expertise de la part des collègues.

Tout cela renvoie au parti pris n°1 de l’article de Jean-Luc Ubaldi et Alain Coston des Cahiers du CEDREPS n°7: « vivre la culture, ce n’est pas vivre les pratiques sociales ». On va choisir des moments saillants dans l’évolution des pratiques sociales, pas tout ce qui a été fait. C’est déjà la première interrogation qu’il faut avoir: quels sont les moments où il y a des choses  nouvelles qui apparaissent? Et peut-être que ça, ça vaut le coup d’être enseigné.

Si on prend l’exemple du tennis de table, j’avais une vieille cassette des premiers championnats du monde des années 30, c’est extraordinaire de voir les mecs jouer! Ils sont au centre de la table, jouent essentiellement en revers.

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