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Les styles d’apprentissage et les styles d’enseignement

Les convergences et les divergences

Abdesselam Mili
Professeur agrégé au CRMEF CS
Docteur en sciences de l’Education

Les résultats du dépouillement du questionnaire adressé à 600 enseignants du cycle primaire montrent que la faiblesse du niveau des élèves constitue, pour eux, une difficulté importante pour la conduite des apprentissages en classe. Au même temps, ils précisent que les pratiques de ces enseignants se focalisent sur l’apprenant. Ce constat mérite d’être analysé vu que l’apprenant est considéré d’une part comme le centre d’intérêt du processus d’enseignement apprentissage, et d’autre part comme le premier accusé dans la conduite des apprentissages.
Pourquoi la faiblesse du niveau des apprenants agit-elle sur les pratiques d’enseignement ? Sur le terrain, y-a-t-il vraiment une centration des apprentissages sur l’apprenant ?
Aujourd’hui, le métier d’enseignant exige des pratiques qui veillent sur le développement des stratégies cognitives, métacognitives et socio-affectives de l’apprenant afin de préparer un citoyen sensé, cultivé et ayant un regard critique envers lui-même. Cette réflexion, enrichie par l’analyse des pratiques faites sur le terrain concernant 50 enseignants, a pour objet de situer l’apprenant dans le processus d’enseignement-apprentissage, de montrer les représentations de l’enseignant envers cet apprenant et enfin de mettre en exergue le niveau d’interaction qui s’établit entre l’enseignant et l’élève.
Mots- clés : Apprenant- pratique d’enseignement- style d’apprentissage- style d’enseignement- stratégie cognitive- stratégie méta-cognitive.
1- Apprenant : définition, besoins et désir, styles d’apprentissage:
L’apprenant, c’est qui? Une question qui peut surprendre dans la mesure où la définition de ce terme est très usuelle pour la communauté pédagogique. Pourtant, les courants conceptuels étudiant l’apprenant dans ses différentes dimensions (biologique, psychologique, social) attribuent à cette notion des significations multiples. Dans le domaine des apprentissages, le concept « apprenant » a connu des transformations et des réajustements au niveau de sa genèse et de son usage. Les théories les plus connues montrent bien cette différence :
– Pour les béhavioristes, l’apprenant est une personne qui doit écouter, assimiler, répéter, exécuter les consignes de l’enseignant transmettant le savoir.
– Pour les cognitivistes, l’apprenant analyse et traite de l’information quand il apprend. En effet, l’apprenant (analogie avec à un ordinateur) reçoit l’information, analyse par rapport à des registres, stocke, et réagit. L’apprenant transforme le savoir (dimension sociale) pour devenir une connaissance (dimension individuelle). L’apprentissage est donc « processus individuel de production, de construction mentale, qui « résulte de l’activité significative de sujets en relation avec des objets au sein d’un environnement donné »(Linard, 2001).
– Pour les constructivistes, l’apprenant est une personne qui construit et organise ses
connaissances par l’action.
– Pour les socio-constructivistes, l’apprenant est une personne qui construit et organise ses
connaissances en interaction avec l’environnement matériel et social. C’est un acteur social ayant
sa propre identité.
La place de l’apprenant dans le processus d’enseignement-apprentissage revêt deux logiques : celle qui conçoit l’apprenant comme récepteur du savoir fourni par l’enseignant et celle qui considère l’apprenant comme acteur de l’appropriation du savoir proposé par l’enseignant. Le fait de d’adopter l’une ou l’autre des deux logiques conditionne le type de pratique d’enseignement. Ainsi, on peut trouver dans une même école des styles d’enseignement différents que Blake et Mouton (1964) définissent comme suit: style transmissif (centré davantage sur la matière), style incitatif (centré à la fois sur la matière et sur les apprenants), style associatif (centré davantage sur les apprenants) et style permissif (très peu centré tant sur les apprenants que sur la matière)1.
Quelque soit le style d’enseignement envisagé, l’apprenant éprouve des difficultés lorsqu’il est confronté à des situations d’apprentissage. Ces difficultés font partie du processus de la construction de la connaissance. Cependant, quand la difficulté persiste chez l’apprenant, l’accès au savoir devient de plus en plus difficile. Ce qui rend la tâche de l’enseignant délicate. Il est en effet contraint, d’une part d’achever le programme scolaire conformément aux orientations ministérielles, d’autre part d’assurer le soutien des apprenants en difficultés. Plus le niveau des élèves est faible, plus l’effort déployé par l’enseignant est important. Sur le terrain, la majorité des enseignants optent pour la première alternative où les apprentissages sont centrés, dans la majorité des cas, sur les meilleurs élèves. Les explications de la faiblesse du niveau des apprenants peuvent avoir des sources multiples qui sont:
– en rapport avec le savoir que l’apprenant n’arrive pas à s’approprier pour des raisons biologiques ou cognitives ;
– en rapport avec la sphère sociale (famille, culture) qui est un facteur déterminant pour la réussite scolaire ;
– en relation avec le contexte scolaire (les autres élèves, les conditions d’apprentissage, les activités de l’école) qui influe la réussite ou l’échec de l’apprenant ;
– en relation avec le type de pratique d’enseignement envisagé par l’enseignant et avec la représentation que se fait cet enseignant de l’apprenant. L’interaction du couple apprenant-enseignant au moment du processus de l’enseignement-apprentissage constitue un facteur capital dans la consolidation ou non des apprentissages.
2- Style d’apprentissage et style d’enseignement

Analysons de prés, la relation d’interaction qui met en jeu deux styles : le style d’apprentissage relatif à l’apprenant et le style d’enseignement relatif à l’enseignant. Chaque style décrit, d’une manière singulière, les conduites privilégiées et leur mise en œuvre. Pour l’apprenant, le style d’apprentissage se structure selon un cycle d’apprentissage que Kolb, définit en quatre phases:
– Phase (1) : Expérience concrète où l’apprenant agit pour la réalisation d’une tâche, sans trop réfléchir. (Je réponds à la question demandée par mon l’enseignant).
– Phase (2) : Observation réfléchie où l’apprenant est attentif et réfléchit sur son action ce qu’il fait en faisant référence à ses croyances et à ses convictions (Est-ce que ma réponse sera acceptée par mon professeur ?).
– Phase (3) : conceptualisation abstraite où l’apprenant réfléchit sur ce qu’il va faire conceptualise ce qu’il va faire (Est-ce que je peux réfléchir encore sur ma réponse pour qu’elle soit acceptée par mon professeur ?)
– Phase (4) : l’expérimentation active où l’apprenant réalise la tâche à la lumière de la réflexion et de l’expérience passée. (Je réponds après avoir amélioré ma production).
Ces phases sont à titre indicatif et diffèrent d’un apprenant à un l’autre. Le style d’apprentissage dépend, en fait, de l’importance et de la préférence accordées par l’apprenant à l’une ou l’autre de ces quatre phases. Ainsi, Kolb (1984) a classifié les types d’apprenants, en fonction de la phase du cycle d’apprentissage qu’il préfère.
– Le divergent : privilégiant les phases (1) et (2), il tient compte des gens et des émotions. Ce type d’apprenant est caractérisé par des qualités d’observation et d’imagination. Il apprend par l’expérience.
– L’assimilateur : ce type d’apprenant préfère les phases (2) et (3) et aiment théoriser les faits et ne s’intéressent pas aux applications pratiques. Il préfère les cours théoriques.
– Le convergeant : il s’intéresse aux phases (3) et (4). Il est pratique et peu émotif. Il préfère s’investir seul. Ce type d’apprenant apprécie le travail de projet.
– L’accommodateur : il est pour les phases (1) et (4). Il a une grande adaptation à de nouvelles situations. Il résout les problèmes par essai-erreur.
Ces styles d’apprentissages montrent bien que chaque apprenant a des caractéristiques distinctives pour l’appropriation du savoir. C’est pour cela, il est faut admettre que les apprenants n’atteignent pas les mêmes performances avec un même type d’enseignement. Le fait d’envisager des stratégies d’apprentissage adaptées à chaque style aide l’apprenant à traiter et percevoir l’information. Cependant, si l’apprenant a son propre style pour apprendre,
l’enseignant est de même a son propre style pour enseigner. Les classifications relatives aux styles d’enseignement sont nombreuses et se basent sur les travaux de Therer et Willemart (1982). Ces auteurs ont proposé une grille permettant d’identifier quatre styles d’enseignement en fonction de l’intérêt accordé par l’enseignant à l’apprenant ou à la matière. « La combinaison de ces deux attitudes permet d’identifier quatre styles de base :
1. Style transmissif, centré davantage sur la matière;
2. Style incitatif, centré à la fois sur la matière et sur les apprenants;
3. Style associatif, centré davantage sur les apprenants;
4. Style permissif, très peu centré tant sur les apprenants que sur la matière. »2
Cette vision épistémique de l’apprenant et de l’enseignant montre qu’il est très difficile d’atteindre l’idéal recherché dans le processus de l’enseignement-apprentissage. Car, chaque apprenant a une stratégie propre pour accéder au savoir et que chaque enseignant a son propre style pour véhiculer ce savoir. L’idéal serait que les deux styles puissent converger vers les mêmes attentes. Pour réduire les écarts entre ce qui s’apprend et ce qui s’enseigne, il est possible d’agir plus sur les pratiques d’enseignement que sur les styles d’apprentissage. Car d’une part, c’est l’enseignant qui est au service de l’apprenant, d’autre part ce dernier peut prendre conscience de ses pratiques et les changer par la formation et l’auto-formation.
3- Place de l’apprenant dans le processus enseignement-apprentissage :
Le modèle proposé par Houssaye (1988) montre bien la relation qui s’établit entre l’apprenant, le savoir et l’enseignant. Le fait de privilégier l’un par rapport à sur l’autre a des répercussions sur le processus d’enseignement- apprentissage. Quand l’enseignant focalise les apprentissages sur le savoir, l’apprenant est au service de la connaissance et le contraire est vrai ou la réciproque est vraie. Cela, montre bien que toute pratique d’enseignement peut basculer vers l’une des relations suivantes : Enseignant- savoir (matério-centrisme), Enseignantapprenant (pédo-centrisme). La pédagogie centrée sur l’apprenant n’est pas une nouveauté pour la communauté scientifique et scolaire. Elle s’oppose depuis longtemps à la pédagogie centrée sur les contenus. Derrière la volonté d’adopter cette pédagogie se cachent souvent des pratiques contradictoires. Sur le terrain, des niveaux de pratiques différentes sont observés entre les
enseignants allant du niveau novice jusqu’au niveau expert. Ce dernier est « l’idéal type » recherché pour assurer relativement un enseignement efficace. Il dépend du :
– du rapport « centration/décentration » de l’enseignant par rapport au contenu d’enseignement. Ce rapport permet de faire la distinction entre un enseignant « emprisonné » par le savoir et un autre qui « jongle » avec ce savoir.
– du rapport « contextualisation/décontextualisation » du savoir à travers les activités d’apprentissage proposées. C’est la distinction entre un enseignant qui adapte le savoir au contexte de l’apprenant et celui qui garde le savoir à son niveau d’abstraction. C’est l’art de transformer un « savoir à enseigner » en  » savoir enseignés « 3, ce qui fait la différence entre les enseignants. Car,  » toutes les opérations de contextualisation et de raisonnement sans lesquelles une connaissance ne saurait guider l’action ».
– du rapport « incitation/ engagement » de l’apprenant dans les apprentissages. C’est le fait de motiver l’apprenant pour s’investir dans les apprentissages. Ce qui a par conséquent, une implication sur le temps d’apprentissage et sur l’engagement cognitif, socioaffectif, psychomoteur de l’apprenant.
– de la diversification et de multiplication des activités des apprentissages qui permettent d’une part de mobiliser des ressources en fonction du contexte, d’autre part de consolider et de renforcer les apprentissages. Le rôle de l’enseignant « est donc ici aussi de construire des situations pédagogiques variées suffisamment nouvelles pour entraîner l’élève vers de nouveaux développements de ses connaissances et surtout de lui-même, comme personnalité »
– des techniques d’animation et des formes de l’organisation du groupe-classe qui sont des éléments clés la gestion des apprentissages. Ainsi, l’image d’un bon enseignant se justifie par la qualité de la production de ses apprenants comme le montre Postic en disant c’est « dans la relation que l’enseignant établit avec la personne en formation, que celle-ci soit enfant ou adulte se joue un avenir »6. Cette production peut être écrite, orale, artistique ou physique. Pour arriver à ce stade  » l’apprenant utilise ses propres acquis, ses connaissances antérieures et ses moyens individuels pour se construire d’autres savoirs, ce qui est le principe majeur de l’approche constructiviste et de « l’apprentissage par tâches »7. Le discours soutenu d’une pédagogie centré l’apprenant n’a de sens que s’il est traduit par une pédagogie situationnelle où l’apprenant construit sa connaissance en agissant sur le savoir. Pour cela, l’enseignant doit proposer des activités diverses visant à développer les stratégies suivantes chez l’apprenant:
– les stratégies cognitives permettant à l’apprenant de « procéder à une organisation plus cohérente de ses conceptions et ce, en vue qu´elles soient plus efficaces pour comprendre les objets et les phénomènes »8. C’est à travers des activités de rétention, de compréhension et de réflexion que l’apprenant développe progressivement sa compétence.
– les stratégies socio-affectives à travers des consignes favorisant la coopération, la vérification, l’acceptation d’autrui et la maîtrise de ses émotions.
– Les stratégies métacognitives permettant à l’apprenant de prendre conscience de son processus cognitif et « adopte une attitude réflexive par rapport à sa conduite intellectuelle (Dias, 2001) »9. Les activités de résolution de problème où l’apprenant anticipe, contrôle, régule par rapport à l’objectif de la tâche proposée sont souhaitables. Chaque type de stratégie complète l’autre en facilitant à l’apprenant le traitement de l’information et sa traduction en production souhaitée par l’enseignant. Par exemple, « un apprenant qui sait utiliser la stratégie cognitive « raisonner et déduire » peut, par la suite, s’en servir pour utiliser une stratégie métacognitive telle que « identifier l’objet d’une tâche », qui nécessite des opérations de raisonnement et de déduction »10. Les modèles pour aborder ces stratégies sont nombreux, Flavell (1976, 1985, 1987), Baker et Brown (1982), Chi (1984) Fisher et Mandl (1984), Minier (2000) s’intéressent à la régulation et le contrôle du processus cognitif du sujet en situation d’apprentissage d’une part d’autre l’explicitation du processus de la construction de la connaissance de l’apprenant lui-même.
Conclusion :
Le concept « apprenant » prend des significations différentes suivant l’approche abordée. Il peut être réceptif comme il peut être acteur lors du processus- d’enseignement apprentissage. Le fait de s’inscrire
dans l’une ou l’autre de ces acceptions, la posture de l’enseignant change. Elle organise les apprentissages soit en direction des contenus, soit orienté vers l’apprenant. Cependant, quelque soit la
pratique d’enseignement adoptée, certains apprenants éprouvent des difficultés lorsqu’ils sont confrontés aux savoirs nouveaux ou lorsqu’ils sont censés de mobiliser des connaissances anciennes.
Ces difficultés sont liées à l’apprenant lui-même, à son style d’apprentissage, au contexte scolaire et social, et à la nature de la pratique de l’enseignement. Quand ces difficultés persistent, elles constituent une charge et une contrainte pour l’enseignant qui est obligé d’achever le programme scolaire, et
d’assurer un soutien permanent à l’apprenant en difficulté. De plus, les styles d’apprentissage et d’enseignement sont propres à chaque sujet qu’il soit apprenant ou qu’il soit enseignant. Ce qui rend la
tâche de l’enseignant encore difficile lors de la gestion des apprentissages ou pendant les moments de remédiation des lacunes. Actuellement, les auteurs s’accordent que la centration du processus enseignement doit s’orienter vers les pratiques d’enseignement en proposant des modèles expliquant comment développer des stratégies cognitives, socio-affectives et métacognitives au moment des apprentissages. Pour certains enseignants, ces modèles sont de nature théorique ne s’inscrivent dans le contexte diversifié des apprenants. Le fait d’innover dans les apprentissages constitue, pour eux, un
risque et un défi en même temps car les résultats ne seraient pas affirmés d’avance.



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