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Comment enseigner la gestion de la classe ?

Comment la gestion de classe par les enseignants influence-t-elle les apprentissages ? Comment transmettre aux nouveaux enseignants rites et rituels ayant fait leurs preuves ? Marc Pidoux, Laurence Court, Elodie Brülhart et Boris Martin, enseignants en HEP (hautes écoles pédagogiques) suisses décryptent les rouages d’une gestion de classe réussie. « Les enseignants qui rencontrent le plus de réussite mettent en place et enseignent progressivement les rituels et les routines aux élèves dès les premiers jours de l’année scolaire ». Une analyse de pratique des enseignants montre un lien entre les apprentissages et la gestion de la classe. Les 4 experts nous proposent aussi des conseils pour construire en classe « une dynamique positive d’apprentissage ».

Une image contenant personne, posant, gens, groupe Description générée automatiquementQuelles différences faites-vous entre un rituel et une routine en classe ?

Le rituel a une visée symbolique de construction d’un sens collectif comme l’appartenance à un groupe, l’adhésion à des valeurs partagées. Dans les premières années de la scolarité, il est la clé de voûte de la transformation de l’enfant en élève, donc de l’entrée dans un ordre social où chacun a une place. Cela constitue sa première dimension d’apprentissage. Dans le cours de la scolarité, il continue à favoriser le développement de l’élève et participe à la socialisation de chaque enfant. Il apporte aussi des dimensions d’apprentissage liées à la vie sociale comme la lecture du calendrier qui amène les élèves à se situer dans le fil de l’année et des saisons. Il permet, pour l’enfant, de structurer le monde, de mieux l’appréhender et le comprendre, tout en créant un sentiment d’appartenance collective, de même qu’une inscription dans une histoire commune.

Dans le cadre scolaire, il est ainsi garant d’un certain ordre établi et accompagne l’enfant de manière structurée dans sa découverte du milieu scolaire et des apprentissages qui lui sont proposés. De plus, il facilite la mise en mémoire d’un certain nombre d’éléments – liés notamment au fonctionnement de la classe et aux divers apprentissages –, ainsi que l’inscription dans une temporalité partagée. Enfin, il favorise l’intégration des élèves au sein du groupe-classe. Il partage avec les routines l’aspect répétitif, structurant et sécurisant de la vie en classe.

Une routine ne porte pas de dimensions symboliques et d’apprentissage ; c’est une suite de consignes données pour accomplir une tâche, qui se caractérise par son utilisation constante sur une longue période, tant et si bien que les élèves finissent par internaliser les consignes. Les routines structurent l’espace, le temps et les relations dans la classe afin d’établir les meilleures conditions possibles pour l’apprentissage.

Quelles sont leurs potentialités en classe ?

Les rituels et les routines influent sur toutes les composantes de la gestion d’une classe (Gaudreau, 2017) ; en l’occurrence la gestion des ressources (temps, espace, matériel) ; l’établissement d’attentes claires, la mise en place de relations sociales positives ; la mise en œuvre de stratégies pour capter l’attention des élèves et favoriser leur engagement ; la gestion des comportements d’indiscipline. Ils sont fondamentaux en particulier pour les deux premières composantes précitées.

Les rituels jouent un rôle important par rapport au climat de classe, car ils relèvent de la construction d’une appartenance commune au groupe classe. Ils jouent également un rôle dans les transitions entre les espaces sociaux comme le passage de la famille à l’école, chez les petits, ou de la cour de récréation à la classe pour tous les niveaux. Dans la mesure où ils ne sont pas rigides et laissent une certaine marge de manœuvre aux élèves, ils permettent à chaque individu de se construire en lien avec autrui.

Les routines sont fondamentales pour gérer les ressources dans le cadre de la classe. Elles contribuent aussi à mettre en place des attentes claires auprès des élèves, libérant ainsi de la charge cognitive pour les élèves et l’enseignant afin de se focaliser sur les tâches d’apprentissage. Elles permettent aussi de négocier de manière plus efficiente les transitions dans le cours d’une leçon. En effet, s’il suffit d’un signal de l’enseignant pour que les élèves sachent les gestes attendus de leur part, le gain de temps et d’économie d’énergie est considérable pour les acteurs de la classe.

Il nous semble important de souligner qu’elles nécessitent un apprentissage par les élèves. Il ne suffit pas de les énoncer pour les mettre en place. Il s’agit de les présenter, de les exemplifier, de les entraîner et de les ajuster. Les enseignants qui rencontrent le plus de réussite mettent en place et enseignent progressivement les rituels et les routines aux élèves dès les premiers jours de l’année scolaire. Ils sont attentifs à veiller à l’acquisition des rituels et des routines nécessaires et adaptent leur enseignement pour permettre ces apprentissages avant de proposer des dispositifs pédagogiques complexes aux élèves. Cela permet ensuite aux élèves qui les ont intégrés d’entrer plus facilement dans de nouveaux apprentissages.

Vous dites qu’un enseignant novice dispose d’une gamme restreinte d’action pour sa gestion de classe. En quoi cela influence-t-il le fonctionnement de la classe ?

Les capacités d’anticipation des enseignants novices sont souvent trop peu développées, car ces derniers n’ont pas un assez grand répertoire de situations typiques ou singulières. Cette difficulté amène à des comportements plus réactifs que proactifs et peu réfléchis. Elle les limite aussi dans leur capacité d’analyse de la situation. Ainsi, le fonctionnement de la classe est souvent moins fluide qu’avec des enseignants experts, car les enseignants novices ont tendance à intervenir plus souvent, au détriment du cours de la leçon. Le rythme est cassé. Les élèves se retrouvent éloignés de l’objet d’apprentissage et le terrain devient très favorable à diverses perturbations.

Nous rencontrons souvent des systèmes de gestion de la discipline basés sur « la carotte et le bâton ». Ces systèmes tendent à éloigner les élèves du sens de leur présence en classe qui est l’apprentissage de notions et de la vie en collectif. D’ailleurs, pour les mêmes raisons évoquées précédemment, les enseignants novices tendent souvent à dichotomiser gestion des apprentissages et gestion de la classe, ce qui ne favorise pas la construction de sens pour les élèves. Le manque de diversité dans les manières d’organiser le travail ou d’appréhender certaines difficultés contribue aussi à provoquer des comportements perturbateurs des élèves.

Pour finir, les enseignants novices agissent fréquemment en visant le court terme, ce qui les amène à une certaine instabilité dans les attentes qu’ils communiquent aux élèves. La plupart des enseignants novices construisent leurs rituels et leurs routines par tâtonnement. Les changements de routines et de rituels peuvent être très fréquents, surtout lors de la première année de pratique, et caractérisent dans nos investigations les enseignants novices qui rencontrent de sérieuses difficultés en gestion de classe. L’instabilité dans les rituels et les routines participent de l’instabilité du comportement chez les élèves. Le groupe-classe peut se sentir désécurisé et tester le cadre.

Vos travaux montrent une relation entre la difficulté de la gestion de classe et le fait de dispenser un cours descriptif plutôt qu’explicatif. Quelques mots sur ces observations.

Chez les enseignants novices qui rencontrent le plus de difficultés en gestion de la classe, nous avons observé essentiellement de l’enseignement frontal, avec peu de moments où les élèves sont dans une activité autre que l’écoute des interactions entre l’enseignant et un élève. De plus, ces enseignants novices étaient généralement très statiques dans le déroulement de leur cours. Les bons élèves peuvent alors se sentir négligés, car n’ayant pas de tâches à accomplir, et pourraient se signaler négativement. De même, pour des élèves en difficulté, ces derniers auraient besoin d’un accompagnement adapté. La même proposition de contenu enseigné sans une prise en considération minimale du niveau ou du besoin de l’élève ouvre la porte à des comportements non souhaités. Lorsque les élèves sont vraiment engagés dans une activité d’apprentissage, que ce soit parce qu’ils sont assez autonomes pour travailler seuls ou parce qu’ils travaillent en groupes, par exemple lors de tâches réalisées dans le cadre de la pédagogie coopérative, les comportements d’indiscipline sont moins fréquents.

Quand l’enseignant cherche à tout contrôler, ce qui semble peu possible, voire impossible, il ne crée pas une dynamique positive d’apprentissage et une partie des élèves se démobilisent rapidement. Les routines et les rituels conjugués avec des démarches didactiques dynamiques et qui donnent la possibilité à l’élève d’agir pour apprendre se montrent plus performants. Il serait opportun de penser le déroulement de la leçon dans une logique qui place l’élève en posture d’autonomie.

Votre étude montre aussi un apprentissage essentiellement par le mimétisme des nouveaux enseignants en formation, notamment d’après le comportement en classe de leurs aînés dans le métier. Finalement, cette expérience acquise au cours des années n’est-elle pas simplement irremplaçable ? Que faire sinon pour améliorer la formation ?

La formation doit offrir la possibilité d’expérimenter in vivo l’activité enseignante. Elle passe par observer l’enseignant-expert en action, l’interroger sur sa pratique, l’inviter à détailler les motivations et les modalités de son enseignement et discuter la pertinence de son activité en regard de ce qu’elle produit auprès des apprenants. Le futur professionnel peut ensuite enseigner à son tour en s’appuyant sur ses observations et les échanges avec son tuteur. Pour finir, il bénéficie de l’analyse de son action avec le soutien de l’enseignant-expert.

Reproduire l’acte d’enseigner sans l’analyser risque d’être inadapté au besoin réel d’une classe. Cette mise en activité pratique doit aussi pouvoir être confrontée aux savoirs, basés sur la recherche en sciences de l’éducation, qui sont dispensés en institution. La reproduction non pensée est vouée à l’échec. La réflexivité sur ses pratiques reste indispensable pour progresser.

D’après vous, quelles sont les stratégies les plus abouties pour capter l’attention des élèves et favoriser leur engagement ?

Les stratégies sont multiples et dépendent fortement du contexte. Il y a bien sûr les grands principes qu’évoque Gaudreau (2017) ; il s’agit notamment de tenir compte de la perception de la tâche que peuvent avoir les élèves, afin que ces derniers y trouvent du sens et de l’utilité. L’adaptation de cette dernière au niveau des élèves est aussi importante. Des dispositifs qui amènent les élèves à participer activement à leurs apprentissages, tant physiquement que mentalement, contribuent aussi à les engager. Et bien sûr, la différenciation de l’enseignement en fonction des besoins des élèves, notamment en variant les contenus, les dispositifs et les rythmes, favorise l’engagement des élèves.

Par rapport aux routines et aux rituels, nous prendrons l’exemple du début d’une leçon où il s’agit d’amener les élèves à s’engager sur un objet de savoir. Les élèves doivent franchir trois seuils (Brenas, 2009). Le premier consiste à faire passer les élèves de l’espace extérieur à l’espace classe, le deuxième à les préparer à entrer dans une activité d’apprentissage et le dernier à entrer dans un apprentissage particulier. Les rituels et les routines sont des outils importants pour permettre le passage de ses différents seuils. Par exemple, une routine didactique qui consiste, au signal de l’enseignant, à sortir sa règle et son compas pour se préparer au cours de géométrie relève du passage du deuxième seuil.

Propos recueillis par Julien Cabioch

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